EXTRAIT DU LIVRE : RÉFLEXION EN CONSCIENCE
Il m’arrive parfois de m’évader dans mon enfance. Généralement, j’ai ce genre de pensées lorsque les responsabilités de la vie me pèsent.
Cet après-midi, je pensais justement à cela. Je me suis projeté dans l’ailleurs, dans une maison de mon enfance tout près de la mer. Ce n’était pas ma maison, mais une autre demeure qui semblait davantage ressembler à cette personne que je suis devenue... et l’insouciance s’est mise à m’habiter. Je courais pieds nus sur les galets nivelés par la marée en respirant profondément l’air marin. Je n’avais en tête qu’une seule chose, celle de m'amuser et de vivre dans la joie.
J’étais là, vêtue de ma petite crinoline blanche, trainant une algue derrière moi comme s’il s’agissait d’un chien en laisse. Et je lui parlais à ce chien, comme on parle à un ami.
Le décor était unique. Plusieurs grosses roches transportées par la mer résidaient sur la grève de manière permanente. C’était leur maison. Mon frère et moi les avions nommées selon les formes qu’elles avaient et les utilisions tour à tour comme des points d’ancre. La «pitoune» par exemple était une roche énorme avec une cavité à sa base pour nous permettre d'y grimper. Lorsque j’étais debout sur son versant face à la mer, je me sentais vraiment maître de l’univers.
Comme nous étions puissants
Comme nous étions puissants quand enfant tout était possible. Il n’y avait de limites que lorsqu’on entrait à la maison, et dès lors nous avions des règles à suivre. Mais même là, dans ces moments plus ordonnés, je pouvais encore vivre selon les élans de mon petit cœur. La vie était si simple pour moi ; j’aimais certaines choses et je n’en aimais pas d’autres, et ça s'arrêtait là, point final. Jadis ce qui l’était moins, c’était de comprendre pourquoi quelque chose que je n’aimais pas s’avérait être, selon l’avis de quelqu’un d’autre, bon pour moi.
Avec le temps, j’ai pris conscience que ça ne l’était pas nécessairement.
Je n’aime pas la viande, pas plus qu’avant. J’ai les mêmes visions face à l’amour que lorsque j’étais enfant. Je suis contre un paquet de règles finalement, des règles qui appartiennent à d’autres, et j’affirme aujourd’hui les miennes sans croire qu’elles sont les seules qui vaillent.
Ces pensées de l’enfance étaient redondantes depuis quelques semaines. Je me suis donc mise à fouiller dans ma mémoire parce qu’il y avait une raison de leur présence, une raison plus profonde. Pourquoi rêvais-je éveillée tout d’un coup des sandwiches tête-bêche que me faisait ma mère lorsqu’elle me permettait d’aller pique-niquer à l’extérieur. Quand je partais avec mon petit sac et m’installais soit dans les bois, soit près de la grève, mais loin, très loin de la surveillance parentale.
Avoir mon espace à moi
Je me créais alors l’environnement idéal en déplaçant certains éléments de la nature comme des branches mortes par exemple pour me confectionner un siège, une table. Je construisais ensuite un cercle dans le sable à l’aide de petits cailloux. C’était un rite sacré d’avoir mon espace à moi, de pouvoir y vivre selon ce que me dictait ma conscience, si petite était-elle.
Mon imagination était féconde et je disposais alors de toutes les ouvertures que la vie avait à m’offrir. C’était immense et magique de pouvoir vivre toute cette liberté et c’est ce que je ressens encore en moi aujourd’hui quand j’y pense.
Que ce soit les draps frais lavés, les beignes de grand-maman Blanche, ou mon coin de travail à moi, j’ai conscience qu’il y avait des gens qui s’affairaient à rendre ma vie plus belle. Lorsqu’on est enfant, on n’a pas à se soucier de rien, à moins d’avoir à faire avec le grand boss, celui-là même qui établit les règles. Mais les règles aujourd’hui, où sont-elles ? Qui les régit ? Est-ce notre part d’inconscience qui se rejoue constamment un scénario du passé ou est-ce notre part de conscience qui nous pousse à aller plus loin ?
C’est certain que l’analyse plus en détail de ces épisodes rêvés m’amène directement à l’expression de mes besoins fondamentaux. On dit que dans nos désirs profonds se trouvent également nos manques, et je comprends que j’ai besoin de m’accorder plus de liberté dans ma création, et forcément, moins de règles.
Je ne me soucie de rien quand j’ai confiance en la vie
J’ai besoin d’appliquer le sempiternel lâcher prise sur le contrôle de mon mental, car lorsqu’il se croit le capitaine à bord, il a tendance à oublier l’essence même de ma vie. Et plus j’y pense et plus je saisie qu’il n’y a pas de différence en définitive entre là, le passé que j’imagine, et maintenant. Je n’ai pas à me soucier de rien quand j’ai confiance en la vie.
L’insouciance n’est-il pas d’arrêter de se poser de questions ? Oui, en quelque sorte, c’est d’oublier l’existence du passé qu’on ne peut changer et de concentrer son attention sur ce qui se passe. Faire «UN» avec la vie.
Comme un enfant, j’ai les aptitudes pour vivre dans la joie avec ce qui m’environne. Vous les avez aussi. Qui plus est, j’ai de vrais chiens aujourd’hui avec qui j’échange et je parle comme à des amis.
Comme un enfant, je suis maître de mon univers si c’est l’image que j’entretiens dans ma pensée et que je nourris dans mon cœur. Nous le sommes tous. Je peux être à la fois contemplative et insouciante exactement comme avant.
La différence réside dans le fait que quelque chose de plus vaste prend alors le relais. C’est la conscience, la vie qui prend soin de moi, à la différence près que je fais moi-même mon sandwich.
Je t’aime la vie. Je ne le dirai jamais assez.
Tu es tellement pleine de sens pour moi, si simple à comprendre, et si merveilleuse lorsque je m’y arrête. Porter attention à tes messages revient à me dire que nous faisons «UN» ensemble et je te reçois cinq sur cinq. J’accueille en moi ta part éternelle, et je t'intègre comme on entame notre première respiration au matin de la vie.
Je suis ton enfant.
Isabelle Pitre Copyright 2016