Pendant une longue période de ma vie, ma mère a été la personne que j'ai le plus aimé au monde. Je crois que je l’aimais plus qu’elle ne s’aimait elle-même.
À cette époque, je la protégeais en répondant à ses attentes de mère. Je lui obéissais comme une petite fille modèle pour lui enlever la lourdeur des tâches quotidienne qu’elle n’avait pas toujours choisit de faire. J’étais beaucoup à l’écoute et au-devant de ses besoins ; tout cela je pense, pour lui plaire.
Probablement que la plupart d’entre vous avez vécu quelque chose de significatif avec votre maman puisqu'il s'agit ici d'un lien assez particulier ; le lien maternel. La mienne, je l’ai aimé à m’oublier, essayant tant bien que mal, et avec la compréhension d’un enfant, de recevoir un minimum de retour dans toute cette manifestation. Mais ça n’est jamais arrivé.
Heureusement que cet état de chose a changé avec la maturité car je suis devenue cette personne pour moi-même. Ça aura pris du temps vous me direz, un long cheminement, beaucoup d’amour propre, autant de compréhension, et avec l’accueil et l’acceptation, j’y suis parvenue.
Vous savez, je me suis rendu compte avec les années, qu'enfant je n'avais jamais aimé ma mère pour ce qu'elle était vraiment, mais pour ce que je voulais qu'elle soit pour moi, dans ma pensée et dans mon cœur. Ma mère jonglait avec ses propres démons et n’en parlait à personne. C’était son choix de vie, ce qu’elle avait appris à faire. Elle jetait ainsi toutes les choses déplaisantes dans le tiroir d’en arrière et faisait toujours comme si de rien n’était.
Je ressentais ses tourments, et rattachées à eux, je voyais les réponses. Oui déjà, dans ma petite tête d’enfant, des solutions je ne voyais que ça. Je voulais tellement aider… mais aider parfois c’est aussi se taire et accepter qu’il en soit ainsi. Je souhaitais avoir une maman guérit alors qu’elle apprenait les leçons de la vie, qu’elle évoluait au travers son mal-être, si toutefois il y en avait un, à son rythme à elle. Je me suis alors détachée.
Notre façon d'aimer se calcule souvent ainsi, en fonction de notre vision du monde, de nos propres besoins. Cela va de soi lorsqu'on est un enfant, mais à l'âge adulte, notre rapport à l'autre doit se transformer en quelque chose de plus humain et de plus altruiste.
Nous devenons autonomes alors que l'amour véritable se conçoit dans l'accueil, dans le lâcher prise et dans l'acceptation.
Aimer, c'est offrir à l'autre un espace à occuper, lui faire de la place, le reconnaitre dans ce qu'il est, sans le juger, sans avoir d’attentes. Mais pour espérer prendre soin de ceux que l’on aime, il faut d’abord et avant tout avoir appris à s’aimer soi. Je l’ai appris à mes dépens.
- C’est en effet par le détachement que j’ai appris à m’aimer maman au fil des années. J’ai commencé par me détacher d’un lien négatif que j’alimentais à sens unique de façon bien inconsciente.
Il s’agissait probablement d’un attachement puissant qui se composait soit de nos blessures communes, soit de mon désir de réussir à tous prix dans l’image que je me faisais de toi et moi au détour de la réalité. Et dans le fond, rien de tout cela n’avait à voir avec la mission véritable de l’amour.
Je me suis dit que pour t’aimer vraiment, j’avais moi aussi besoin de trouver ma place, et de te laisser la tienne, toi qui la criait depuis si longtemps. Voilà ce que j’ai fait au moment même où tu m’as dit : - si tu as besoin de t’en aller ailleurs pour retrouver qui tu es et te permettre d’être, alors vas-y.
Cela en a-t-il valu toute la peine ou tous le chagrin qui en a découlé par la suite, je ne saurais l’affirmer.
Par contre, j'ai découvert grâce au détachement que notre matrice est bien plus grande encore que le lien physique d’une mère ou d’un père. C’est la structure sacrée de notre Moi véritable, et de tout ce qui y vit.
Avant même de naître, nous étions. Avant d’incarner ce corps physique, nous sommes et nous serons toujours cette essence, même dans l’après. Nous respirons dans l’expérience humaine comme le fait un poisson dans l’eau alors que toutes les dimensions deviennent possibles pour nous dans un seul et même temps.
Nous puisons sans cesse à même l’arbre de vie puisque nous sommes à la fois la graine, l’arbre et les fruits.
J’ai reconnu ma mère plus tard, cette matrice innommable et sans fin, et lui ai dit :
- Tout est là en toi maman ; mes apprentissages, les leçons de la vie, les fois où je suis tombé, et celles où je me suis relevé. Tout y est ; l’appel de mon cœur, et la réponse d’une matrice aimante qui m’enveloppe complètement et me submerge.
Au-delà de l'abondance et des manques, tu as su comment me soigner et me guérir. Je te dois tout.
Tu connais mes plus profonds désirs comme mes plus grands tourments et tu es là, à attendre patiemment que je me manifeste à toi dans l’abstraction de mon être, afin d’ouvrir ta main et me la tendre à nouveau. Tu es là, et sans cesse tu m’accueille dans ce que je partage au quotidien.
Sans me juger, tu me laisse être. Tu me donnes cette place qui est la mienne. Tu me donnes toute la place que je veux bien prendre.
Sans intervenir, tu me laisse libre dans mes choix, libre d’avancer comme bon me semble et je t’en suis reconnaissante.
Tu me donne tous les espoirs, toute la passion nécessaire pour me permettre de créer moi aussi la réalité naissante de mon monde imaginaire. J’essaie d’être comme toi, à ton image, pour être à même moi aussi d’atteindre toute la perfection de l’amour que tu transportes en toi. Maman la vraie… qui es-tu donc finalement ?
Je te vois en chacun de nous, en moi comme en la parole que j’utilise maintenant pour acheminer ton existence à l’intérieur de chaque possibilité.
C’est l’évidence que je te connais depuis toujours. Toutefois, pour maîtriser ton énergie et laisser ton amour entrer en moi, il a fallu d'abord me reconnaître dans ma souffrance et apprendre à l’aimer.
Cela sans renier l'existence des parties sensibles qui m’habitaient et qui restaient en suspens dans l’air, dans l’attente simple de pouvoir elles aussi exister. Toutes ces choses que tu as créés finalement portent en elles leurs propres perfections.
Ah, que j’aurais aimé comprendre le sens de ton amour dès le départ, mais je conçois que j’avais à passer par ce chemin pour arriver à parler ton langage. Celui-là même que tu utilises aujourd’hui pour me dire à quel point tu m’aime.
Je m’en souviendrai toujours…
Cette fois précise où je t’ai senti m’envahir, j’ai compris que tu allais demeurer en moi éternellement à condition que je garde la porte ouverte. Tu es le contenant de mon univers, ma matrice à moi. Tu es le pont subtil entre ma vie et ma mort qui en fin de compte ne sont qu’une seule et même chose ; toi.
Maman, ma toile de fond, assise sur tes ailes je m’ouvre à la beauté que tu m’inspires.
Lady Isabelle - Mots de l'âme Éditions ADA 2014