16.2.24

Ruby

 

Extrait de ; Ce que les chevaux m'ont appris

Pour revenir aux chevaux, ils n’ont pas d’ego, pas de persona. On dit d’eux qu’ils ont chacun une personnalité unique, mais ce n’est pas vraiment juste. La persona que l’on perçoit chez les chevaux domestiqués est la même que celle qui émerge de son cavalier ou du soigneur.

J’ajouterai plus précisément que dans la plupart des cas, cette persona est une partie du soi refoulée, une partie qu’on ignore souvent de nous-même, une partie qui souffre. En résumé, elle est une partie de soi qu’on ne veut pas reconnaître. Pour preuve, on change de cavalier et 20 minutes plus tard, voilà qu’on a plus du tout le même cheval.

À plusieurs reprises, les chevaux que j’avais reçus à l’entrainement étaient décrits par leur maître comme étant monstrueux. Une dame me téléphona un jour, disant que son cheval avait, entre autre chose, peur des portes. 

-     - ""Lorsque je marche en laisse, mon cheval se cabre et tire au renard".

En somme, il s’agissait d’une grosse jument de 5 ans, Paint tobiano, 15.3 mains et d’environ 1350 livres. Une grande bête avec une petite tête d’enfant apeuré. N’ayant pas reçue d’accompagnement dans ses apprentissages étant petite, la jument levait la tête en arrivant tout au centre du cadrage de la porte, se frappant automatiquement le sommet du crâne, assez violemment.

C’était impressionnant, ouf ! Suite au choc, elle perdait ses sens et bloquait aussitôt ses quatre membres, tirant très fort vers l’arrière, un peu comme le fait un âne qui refuse d’avancer.

Cette pauvre jument se frappait la tête comme ça à chaque fois, si bien qu’elle arborait une croute de sang séchée sur la crête occipitale. La propriétaire elle, ne voulait plus la sortir au pâturage bien entendu. Elle éprouvait même de la difficulté à lui mettre son licol tant la bête avait peur de se blesser la tête à nouveau.

En étudiant bien la relation qu’il y avait entre les deux lors d’une démonstration, j’avais remarqué à quel point la propriétaire anticipait la situation. Inconsciemment, son corps se raidissait juste quelques pouces avant d’arriver au cadrage. En un quart de seconde, ses yeux fixait tantôt le sommet de la porte, tantôt le cheval comme si elle se demandait s’il allait bien passer. Tout son corps faisait foi de son incertitude et donc, d’un potentiel danger, si bien que c’est exactement ce qui arrivait à chaque fois.

La jument, en bon cheval qu’elle était, répondait parfaitement bien au message non-verbal qui lui était destiné. On parle d’une fine perception évidemment. La peur du cavalier devenait la peur du cheval tout comme la colère de la mère, dans l’exemple plus en avant, devenait la colère de l’enfant.

Je me souviens avoir pris le cheval par la laisse. Dédramatisons que je lui expliquais à ma manière.

Je m’étais présenté à elle en la laissant un peu me sentir et me regarder. Puis, je l’avais attaché sur les chaînes un peu plus loin. J’avais changé sa routine. Seulement, j’avais fait avec elle ce que je faisais avec tous mes chevaux; examiner sa robe, la brosser, lui curer les pieds, la toucher. Je lui parlais, lui donnais toute mon attention. Je veillais à son confort, à sa sécurité. Je m’installais confortablement moi aussi, dans cet environnement-là qui n’était pas des plus sécuritaire. Ensuite, je lui avais mis son tapis et sa selle.

J’avais enlevé son licol et passé sa bride sans rencontrer aucun problème, et une fois fini, j’avais pris les rênes lousses dans ma main droite pour sortir à l’extérieur de l’écurie. Le cheval m’avais suivi tête baissé comme un petit mouton. Oh! Tout ça était si naturel pour lui. Et ça l’était! Ça l’était pour moi en tout cas. Pourquoi penser qu’un cheval puisse avoir peur d’un cadrage de porte si ce n’est pas nous qui lui mettons cette idée dans la tête ?

Cette fois-là, je peux vous assurer que la propriétaire n’en croyait pas ses yeux. Elle était très fâchée, contre le cheval, contre elle-même, et ne voulait pas s’avouer qu’elle puisse être la cause de toute cette mascarade. Je souriais en dedans de moi, car je m’étais déplacé à sa demande, pour un gros problème, toujours selon ses dires.

Son non-verbal alors semblait me dire : « voyons, je ne suis pas folle, ce que je vous ai dit est vrai ». Et oui ça l’était, dans la mesure où toute vérité n’est bonne que pour soi-même. 

Suite à ses commentaires, j’avais fait et refait la manœuvre plusieurs fois jusqu’à ce qu’elle prenne conscience que peut-être, il pouvait y avoir un lien entre ce qui causait la peur du cheval, et cette anticipation qu’elle entretenait vis-à-vis la porte elle-même. C’en était devenu une obsession.

Est-ce que les choses s’étaient réglées ce jour-là? Pas vraiment.

Les choses se règlent lorsqu’une personne choisit d’ouvrir son esprit pour orienter ses propres paramètres sur des croyances plus aidantes. Et c’est là que ça devient un petit peu plus ardu. Entraîner un cheval, cela va de soi, mais pour l’humain alors …

 

Chasser le naturel et il revient au galop

J’ai eu cette jument-là à l’entraînement au sol pour un premier mois. Elle ne savait que le strict minimum dont la marche en laisse ne faisait même pas partie. Déjà en arrivant dans sa nouvelle écurie, elle était différente, beaucoup moins stressé, l’œil plus calme. 

J’avais mentionné au palefrenier-soigneur de traiter la jument comme tous les autres, sans égards spéciaux à la nourriture, sans précautions, sans restrictions, alors que chez elle, Ruby, ruait, mordait chaque personne qui daignait mettre le pied dans son box. Enfin, ici, elle avait l’air chez elle. Aussi, j’avais demandé à la propriétaire de ne pas venir à l’écurie, ni d’assister aux séances d’entraînements durant les deux premières semaines. Ça avait été dur pour elle  à accepter, mais mes conditions n’étaient pas négociables.

Ces deux semaines avaient été fort agréable pour moi et pour Ruby. 

Jamais de résistance, peut-être une petite hésitation de temps à autre, hésitation que je transformais bien vite par la dédramatisation, la rassurance et les renforcements positifs. Elle apprenait rapidement, montrait une grande intelligence, participait beaucoup, et voulait recevoir toutes les médailles, toutes les récompenses. Le Dimanche où nous avions reçu la visite de la propriétaire, la jument s’était mise à piaffer, juste en entendant le son de sa voix.

L’ancrage était encore très fort entre les deux, mais la propriétaire fut tout de même surprise des énormes progrès de sa jument.

Un peu plus tard dans la journée, en s’imaginant ce que pourrait être son retour à la maison, l’anticipation de scénarios catastrophiques puis l’anxiété avait repris le dessus et la propriétaire n’était plus du tout convaincue des résultats. Ses craintes évidentes voyageaient entre le cheval et elle, et Ruby m’avait alors exprimé dans son langage de cheval : « Faites quelque chose avec elle s’il-vous-plait ! ».

Elle avait tout appris en ce brillant mois de mai.

Fine comme une mouche,  Ruby longeait aux trois allures, marchait en laisse,

baissait sa tête dans les passages restreints.

Elle s’arrêtait et patientait le temps qu’il faut, se laissait manipuler partout sans broncher. Ça avait été une belle réussite. Tellement que les gens se disaient qu’elle devait toujours avoir été comme ça.

Au dernier jour, j’étais allé la reconduire personnellement chez elle pour l’aider à faire cette transition, et aussi pour qu’elle ait confiance en moi, qu’elle garde un bon souvenir de mon odeur, de ma voix. J’avais pris le temps d’expliquer à la propriétaire ce qu’elle devait changer dans son attitude. Comment transformer son approche pour améliorer le rapport avec sa jument, lui soulignant évidemment ma disponibilité au besoin.

Quelques jours étaient passés sans recevoir aucune nouvelle d’elles. Puis au matin du 07 juin, la propriétaire m’avait téléphoné pour me dire que tout avait recommencé. La jument s’était frappé la tête vous savez où. Le naturel revient toujours au galop ? Non.    

Des histoires de ce genre, il y en a à la tonne dans ma tête. Je pourrais vous en écrire pour les vingt prochaines années. Et c’est un peu ce qui m’a décidé un jour de laisser aller les chevaux à leur nature parfaite et d’aller corriger la source de toutes leurs difficultés, c’est-à-dire, leur maître.


Lady Isabelle xx


UNITÉ

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