Extrait de ; Ce que les chevaux m'ont appris
Pour revenir aux chevaux, ils n’ont pas d’ego, pas
de persona. On dit d’eux qu’ils ont chacun une personnalité unique, mais ce
n’est pas vraiment juste. La persona que l’on perçoit chez les chevaux
domestiqués est la même que celle qui émerge de son cavalier ou du soigneur.
J’ajouterai plus précisément que dans la plupart
des cas, cette persona est une partie
du soi refoulée, une partie qu’on ignore souvent de nous-même, une partie qui
souffre. En résumé, elle est une partie de soi qu’on ne veut pas reconnaître. Pour
preuve, on change de cavalier et 20 minutes plus tard, voilà qu’on a plus du
tout le même cheval.
À plusieurs reprises, les chevaux que j’avais
reçus à l’entrainement étaient décrits par leur maître comme étant monstrueux. Une
dame me téléphona un jour, disant que son cheval avait, entre autre chose, peur
des portes.
- - ""Lorsque je marche en laisse, mon cheval se cabre
et tire au renard".
En somme, il s’agissait d’une grosse jument de 5
ans, Paint tobiano, 15.3 mains et d’environ 1350 livres. Une grande bête avec
une petite tête d’enfant apeuré. N’ayant pas reçue d’accompagnement dans ses apprentissages
étant petite, la jument levait la tête en arrivant tout au centre du cadrage de
la porte, se frappant automatiquement le sommet du crâne, assez violemment.
C’était impressionnant, ouf ! Suite au choc, elle
perdait ses sens et bloquait aussitôt ses quatre membres, tirant très fort vers
l’arrière, un peu comme le fait un âne qui refuse d’avancer.
Cette pauvre jument se frappait la tête comme ça à
chaque fois, si bien qu’elle arborait une croute de sang séchée sur la crête
occipitale. La propriétaire elle, ne voulait plus la sortir au pâturage bien
entendu. Elle éprouvait même de la difficulté à lui mettre son licol tant la
bête avait peur de se blesser la tête à nouveau.
En étudiant bien la relation qu’il y avait entre
les deux lors d’une démonstration, j’avais remarqué à quel point la
propriétaire anticipait la situation. Inconsciemment, son corps se raidissait
juste quelques pouces avant d’arriver au cadrage. En un quart de seconde, ses
yeux fixait tantôt le sommet de la porte, tantôt le cheval comme si elle se
demandait s’il allait bien passer. Tout son corps faisait foi de son
incertitude et donc, d’un potentiel danger, si bien que c’est exactement ce qui
arrivait à chaque fois.
La jument, en bon cheval qu’elle était, répondait
parfaitement bien au message non-verbal qui lui était destiné. On parle d’une
fine perception évidemment. La peur du cavalier devenait la peur du cheval tout
comme la colère de la mère, dans l’exemple plus en avant, devenait la colère de
l’enfant.
Je me souviens avoir pris le cheval par la laisse.
Dédramatisons que je lui expliquais à ma manière.
Je m’étais présenté à elle en la laissant un peu
me sentir et me regarder. Puis, je l’avais attaché sur les chaînes un peu plus
loin. J’avais changé sa routine. Seulement, j’avais fait avec elle ce que je
faisais avec tous mes chevaux; examiner sa robe, la brosser, lui curer les
pieds, la toucher. Je lui parlais, lui donnais toute mon attention. Je veillais
à son confort, à sa sécurité. Je m’installais confortablement moi aussi, dans
cet environnement-là qui n’était pas des plus sécuritaire. Ensuite, je lui avais mis son tapis et sa selle.
J’avais enlevé son licol et passé sa bride sans rencontrer
aucun problème, et une fois fini, j’avais pris les rênes lousses dans ma main
droite pour sortir à l’extérieur de l’écurie. Le cheval m’avais suivi tête
baissé comme un petit mouton. Oh! Tout ça était si naturel pour lui. Et ça
l’était! Ça l’était pour moi en tout cas. Pourquoi penser qu’un cheval puisse
avoir peur d’un cadrage de porte si ce n’est pas nous qui lui mettons cette
idée dans la tête ?
Cette fois-là, je peux vous assurer que la
propriétaire n’en croyait pas ses yeux. Elle était très fâchée, contre le
cheval, contre elle-même, et ne voulait pas s’avouer qu’elle puisse être la
cause de toute cette mascarade. Je souriais en dedans de moi, car je m’étais déplacé
à sa demande, pour un gros problème, toujours selon ses dires.
Son non-verbal alors semblait me dire : « voyons,
je ne suis pas folle, ce que je vous ai dit est vrai ». Et oui ça l’était, dans
la mesure où toute vérité n’est bonne que pour soi-même.
Suite à ses commentaires, j’avais fait et refait
la manœuvre plusieurs fois jusqu’à ce qu’elle prenne conscience que peut-être,
il pouvait y avoir un lien entre ce qui causait la peur du cheval, et cette
anticipation qu’elle entretenait vis-à-vis la porte elle-même. C’en était
devenu une obsession.
Est-ce que les choses s’étaient réglées ce jour-là? Pas vraiment.
Les choses se règlent lorsqu’une personne choisit
d’ouvrir son esprit pour orienter ses propres paramètres sur des croyances plus
aidantes. Et c’est là que ça devient un petit peu plus ardu. Entraîner un
cheval, cela va de soi, mais pour l’humain alors …
Chasser le
naturel et il revient au galop
J’ai eu cette jument-là à l’entraînement au sol
pour un premier mois. Elle ne savait que le strict minimum dont la marche en
laisse ne faisait même pas partie. Déjà en arrivant dans sa nouvelle écurie, elle
était différente, beaucoup moins stressé, l’œil plus calme.
J’avais mentionné au palefrenier-soigneur de
traiter la jument comme tous les autres, sans égards spéciaux à la nourriture,
sans précautions, sans restrictions, alors que chez elle, Ruby, ruait, mordait
chaque personne qui daignait mettre le pied dans son box. Enfin, ici, elle
avait l’air chez elle. Aussi, j’avais demandé à la propriétaire de ne pas venir
à l’écurie, ni d’assister aux séances d’entraînements durant les deux premières
semaines. Ça avait été dur pour elle à
accepter, mais mes conditions n’étaient pas négociables.
Ces deux semaines avaient été fort agréable pour
moi et pour Ruby.
Jamais de résistance, peut-être une petite
hésitation de temps à autre, hésitation que je transformais bien vite par la
dédramatisation, la rassurance et les renforcements positifs. Elle apprenait
rapidement, montrait une grande intelligence, participait beaucoup, et voulait
recevoir toutes les médailles, toutes les récompenses. Le Dimanche où nous avions
reçu la visite de la propriétaire, la jument s’était mise à piaffer, juste en
entendant le son de sa voix.
L’ancrage était encore très fort entre les deux,
mais la propriétaire fut tout de même surprise des énormes progrès de sa
jument.
Un peu plus tard dans la journée, en s’imaginant
ce que pourrait être son retour à la maison, l’anticipation de scénarios
catastrophiques puis l’anxiété avait repris le dessus et la propriétaire
n’était plus du tout convaincue des résultats. Ses craintes évidentes
voyageaient entre le cheval et elle, et Ruby m’avait alors exprimé dans son
langage de cheval : « Faites quelque chose avec elle s’il-vous-plait ! ».
Elle avait tout appris en ce
brillant mois de mai.
Fine comme une mouche, Ruby longeait aux trois allures, marchait en
laisse,
baissait sa tête dans les passages
restreints.
Elle s’arrêtait et patientait le temps qu’il faut,
se laissait manipuler partout sans broncher. Ça avait été une belle réussite.
Tellement que les gens se disaient qu’elle devait toujours avoir été comme ça.
Au dernier
jour, j’étais allé la reconduire personnellement chez elle pour l’aider à faire
cette transition, et aussi pour qu’elle ait confiance en moi, qu’elle garde un
bon souvenir de mon odeur, de ma voix. J’avais pris le temps d’expliquer à la
propriétaire ce qu’elle devait changer dans son attitude. Comment transformer
son approche pour améliorer le rapport avec sa jument, lui soulignant
évidemment ma disponibilité au besoin.
Quelques jours étaient passés sans recevoir aucune
nouvelle d’elles. Puis au matin du 07 juin, la propriétaire m’avait téléphoné
pour me dire que tout avait recommencé. La jument s’était frappé la tête vous
savez où. Le naturel revient toujours au galop ? Non.
Des histoires de ce genre, il y en a à la tonne
dans ma tête. Je pourrais vous en écrire pour les vingt prochaines années. Et
c’est un peu ce qui m’a décidé un jour de laisser aller les chevaux à leur
nature parfaite et d’aller corriger la source de toutes leurs difficultés, c’est-à-dire,
leur maître.
Lady Isabelle xx